En vue de la fin du
monde
"En
vue de...."
En écrivant les
pages qui suivent, j'ai eu le souci de prolonger dans le
domaine de la conduite pratique du
chrétien ce que, dans le domaine de la
connaissance théologique, j'avais esquissé
dans les trois cahier sur "la fin du monde et
Dieu
Mais c'est au niveau de
la politique et du civisme que je me
placerai pour définir le bon comportement du
disciple du Christ aujourd'hui, dans la cité
humaine où qu'elle se trouve sur la
terre.
J'avancerai
l'idée que, selon tous les témoignages
évangéliques, la morale civique
chrétienne est, toujours, et en
tout,déterminée par la proximité de
l'Avènement du Seigneur et orientée dan la
perspective du royaume de Dieu. En même temps, et
de la même façon,cette étique
politique-là est rigoureusement
déterminée par la parole, la mort et
l'ascension de Jésus. Car le Roi de gloire qui va
descendre d'en-haut, d'auprès de Dieu, est la
même personne que ce juif nommé Jésus
qui a été livré au gouverneur romain
Pilate, vers l'année 30 de notre
ère.
Je voudrais donc
préciser pourquoi l'expression" en vue de la
fin du monde",en son sens, m'a paru convenir
à ce sujet développé.
" En vue de" veut dire
souvent "afin que, pour, dans le but de, et c....": Je
dirai donc que la conduite politique que notre
Maître enseigne à ses disciples a pour
but "
d'attendre et de hâter l'avènement du Jour
de dieu" ( II Pierre 3.
12). Le civisme du chrétien a en
vue le Règne qui vient.
Mais cette orientation
n'est pas fondée sur le sable d'une
invraisemblable utopie. Elle est fondée sur
le roc inébranlable d'un fait, un fait divin qui
est celui-ci: le dévoilement mondial de
Jésus comme Sauveur et la création de la
Terre nouvelle sont " en vue", c'est
à dire: à l'horizon; on commence
à voir le drapeau hissé en haut du
mât !
Quelques définitions
et remarques
Avant d'aller plus loin
je voudrais définir quelques mots et faire
quelques remarques au sujet de l'usage qu'on en
fait.
Prenons d'abord le mot
"civisme" dont l'origine est dans le mot
latin qui signifie" cité". Les dictionnaires
en donnent les définitions suivantes: " civisme"
=dévouement du citoyen pour sa patrie. Et par
conséquent, l'adjectif " civique" veut dire soit"
relatif au citoyen" ( exemples: les droits civiques) soit
" propre au bon citoyen" ( exemple: vertues
civiques, instruction civique, esprit civique et ....) Le
mot " patriotisme" est, en général,
donné comme synonyme de " civisme". Il en
résulte, que, pour la pensée courante, le
modèle du plus noble civisme est l'usage des armes
pour la défense de la patrie. Comme Victor Hugo
l'enseignait autrefois à tous les écoliers
de France: " mourir pour la patrie est le sort le plus
beau, le plus digne d'envie"( il n'osait pas
écrire bien sur, " tuer pour la patrie
est...!
Il va donc
apparaître comme bien étrange de se demander
si, en son temps, Jésus de Nazareth, a
pratiqué un bon " civisme". D'autant plus
qu'à son époque et dans la culture de son
univers, ni la notion de " citoyenneté", ni la
notion de " patrie", ni la notion de " civisme" n'avaient
le même sens que dans nos actuelles
démocraties occidentales.
Par contre il ne
paraîtra pas étrange d'examiner le civisme
de Jésus si nous définissons son civisme
comme le service qu'il a voulu rendre
à la collectivité des hommes
et des femmes qui vivaient dans le pays d'Israël et
à Jérusalem, la cité-mère, la
métropole politico-religieuse.
Après le mot
civisme, voici le mot "politique" à
propos duquel il n'est pas inutile de
s'entendre. Sinon, comment pourrait-on se faire
comprendre lorsqu'on parlera de la politique de
Jésus, le Seigneur du monde? Là aussi,
laissons-nous guider par le dictionnaire vers la "
rectitude des désignations", comme disent les
linguistes:
" La politique est l'art
et la pratique du gouvernement des sociétés
humaines ( état, nation " ) dit le Petit Robert. "
La politique est la direction d'un État et la
détermination des formes de son activité",
dit le Nouveau Petit Larousse. Mais pour préciser,
ne devrait-on pas distinguer soigneusement deux choses:
d'une part : " le politique", et d'autre
part " la politique".
En disant" le" politique
nous désignons une réalité à
laquelle nul être humain ne saurait se soustraire:
c'est le domaine des relations humaines en ce monde, dans
le pays où l'on vit, et quel que soit le nombre de
personnes en rapports réciproques ( deux dans le
couple ou soixante millions dans l'Etat-nation). C'est la
dimension " horizontale" de la vie, la vie publique, la
sphère de l'existence commune où on est
tous ensemble. Jésus, en Galilée,
vivait chaque jour dans le politique, comme
je vis moi aussi dans le politique, même si je ne
m'intéresse pas à la
politique ( ce qui n'est pas mon cas!). Jésus
enfant avait vu des soldats romains crucifier des juifs,
ses compatriotes et au temps de ma jeunesse j'ai
été un "déporté
politique". Même la moniale contemplative,
même l'ermite, n'échappent pas à la
sphère du politique, c'est à
dire à la vie en société dans la
cité terrestre.
Mais lorsqu'on parle
de la politique, comme le font nos
dictionnaires, on parle d'autre chose: on parle du
gouvernement qui s'exerce sur un peuple; on
désigne le pouvoir de direction et de
commandement, cette " puissance publique" qui organise et
gère l'ensemble des relations humaines sous ses
divers aspects ( législatif, exécutif,
judiciaire, économique, financier, militaire et
c..... Et là, qui dit " Pouvoir" dit usage de la
force et recours éventuel à la violence
armée, à la guerre. Lorsque le citoyen
français vote pour désigner le
président de la République
française, il confie à un homme ( quel que
soit sa couleur politique) le soin d'employer de sa part
et en son nom les armements prévus, y compris la
force de dissuasion nucléaire. Tout parti
politique, par définition, existe pour
conquérir le pouvoir d'État,
pour l'exercer et pour le garder. C'est cela
la politique.
Or il est clair
que Jésus a volontairement fui le Pouvoir
politique, la politique. Ce fut sa position politique
!
C'est ici le lieu de
faire quelques remarques sur " la
religion".
Si " le politique" est
le domaine des relations " horizontales" des êtres
humains entre eux, " le religieux" est le domaine des
relations " verticales", c'est à dire des rapports
individuels ou collectifs avec ce qui est "
là-haut", avec " dieu", avec le " divin", la "
transcendance", le " surnaturel", les êtres et les
puissances invisible; c'est le domaine de la
spiritualité, de la mystique,de la
religiosité et c... A cet égard tout
être humain est religieux ( même et surtout
le plus radical des athées!) en même temps
qu'il est politique. Il se donne des idoles et il
désire secrètement être une
idole. Au fond, pourrait-on dire, l'être
humain est un animal " politico-religieux."
.
On a souvent dit,
à juste titre, que les deux poteaux de la croix,
symboliquement, illustraient bien cette double dimension
de la condition humaine. Le poteau vertical
correspond à la dimension religieuse de la vie; le
poteau horizontal ( les bras largement ouverts!)
correspond à la dimension politique et sociale de
la vie. Ces deux dimensions sont inséparables et
se croisent toujours, et dans la société et
dans l'individu. Jésus en mourant sur une croix, a
été à la perfection l'Homme
"politico-religieux". "
Voici l'Homme!"
prophétisait sans le vouloir Pilate, le
délégué de César à
Jérusalem, lorsqu'il montrait aux chefs des juifs
Jésus ensanglanté.
Oui, la politique de
Jésus c'est l'amour parfait mis en oeuvre en
faveur de tous. Oui, la religion de Jésus
c'est l'amour parfait pour le Père qui est aux
cieux, civisme singulier, unique en son genre! Ce civisme
et cette activité politique de l'homme
Jésus, fils du charpentier de Nazareth, prenons le
temps de les observer à la lumière des
témoignages évangéliques.
Pour cela, on peut
prendre pour base et pour guide un épisode
particulièrement significatif qui nous plongera en
plein milieu du civisme et de la politique de
Jésus. Il s'agit de ce dialogue qui culmine
dans la fameuse phrase: " Rendez
à César ce qui est à César
....et à Dieu ce qui est à
Dieu". Prenons donc ce
récit dans l'évangile de Luc ( 20. 20
à 26 ), avec références aux deux
passages parallèles ( Marc 12.13 à 17 et
Matthieu 22. 15 à 22 ). Successivement nous allons
y rencontrer l'attitude civique de Jésus et les
fondements " idéologiques" de son oeuvre
politique. En " à parte", nous poserons la
question suivante: pourquoi donc classe-t-on le "
christianisme" parmi les " religions"? Ne pourrait-on
pas, tout aussi bien, le classer dans la catégorie
" politique" ? Nous devrions dire dans les
deux.
Une "Politique tirée de l'Écriture sainte"?
Je mets un point d'interrogation à ce
titre parce que, en ce temps au le relativisme domine la pensée des
intellectuels, il y a beaucoup de naïveté à prétendre tirer des saintes
écritures judéo-chrétiennes une " politique" universellement valable.
Existe-t-il,y a-t-il une réelle possibilité de déduire une ligne
politique juste ( et un civisme chrétien conforme à une telle
politique) soit un credo de l'Église, soit de la Bible dans son
ensemble, soit de l'Évangile de Jésus? La plupart des chrétiens en
doutent de plus en plus et sont tellement séduits par le pluralisme
religieux actuel que, pratiquement, ils se contentent de vivre sur
l'acquis, cette vieille théologie politique ancestrale " vaine manière
de vivre héritée de nos pères".
Il me faut pas mal de naïveté et
d'ignorance pour oser soutenir l'idée suivante: oui, il existe bel et
bien un civisme propre aux chrétiens, une morale civique tirée de
l'Évangile de Jésus de Nazareth. Oui il y a bien un positionnement
et une activité politiques du Messie d'Israël, la politique spécifique
du règne de Dieu (IHVH) et du royaume de son Envoyé: Jésus crucifié et
glorifié. Oui il y a réellement, pour le disciple actuel de Jésus,
vocation à se conformer à la politique et au civisme de son Seigneur et
Maître.
Mais, pour en être persuadé, il faut non
seulement croire en Jésus mais cesser d'identifier la pensée de Jésus à
la morale politique de l'Église de Jésus, ou plutôt à la pratique
courante des chrétiens dans le domaine de la politique. Il y a quelques
semaines un article de l'hebdomadaire protestant " Réforme" avait
pris pour titre:" L'Évangile aussi résiste au front national". Mon
cerveau a réagi aussitôt très vivement:" Certes oui, l'Évangile est
incompatible avec les thèses et les projets de ce parti d'extrême
droite. Mais l'Évangile et la politique de Jésus sont également
incompatibles avec tout parti politique, du fait même que tout parti
est fait pour conquérir et garder le Pouvoir de l'État, de ses droits
régaliens et de sa puissance armée ! L'Évangile résiste à l'emploi, par
les chrétiens, de l'épée justicière. Et il résiste à toute
théologie, explicite ou sous-jacente, qui justifie la coopération des
chrétiens à l'assassinat légal et " légitime" ( ! ). Je crains aussi,
si j'ose dire, que l'Évangile résiste aussi bien à la doctrine
politique protestante du journal " Réforme" qu'à la doctrine politique
catholique du journal" La Croix". Deux cousins germains issus du vieux
système politique " constantinien" né dès les premiers siècles de
l'Église.
Je me suis amusé à mettre entre
guillemets le titre " La politique tirée de l'Écriture sainte". Le
titre de mon paragraphe est, en effet, le titre même d'un ouvrage de
Bossuet, l'évêque de Meaux, grand orateur sacré du 17° siècle. De
lui Daniel Rops disait ( "Histoire de l'Église" tome 7. page 225- 230
): " C'est l'homme prestigieux dont le nom semble résumer à lui seul
tout le catholicisme des temps classiques... une sorte de mentor de
l'Église de France et, dans une certaine mesure, du roi....Louis XIV et
lui" se reconnurent": Bossuet s'intègre tout naturellement dans un
ordre qui semble l'assurer en sa propre existence; et tout son effort
tendra non seulement à adhérer à la conception du monde que le régime
monarchique de droit divin suppose, mais à le défendre et à
l'affermir. Sa " politique tirée de l'Écriture sainte" a
formellement ce but.
Une telle théologie
politique, justifiant le système de " chrétienté", est aux antipodes de
la théologie politique de Jésus.
Georges SIGUIER 1920--2016
(Pasteur, Église réformée de France)