Voici deux
épées !
" C'est
bien assez" !! "
répondit Jésus. Pour l'usage qui doit
être fait c'est plus que suffisant, leur
précise-t-il,non sans une ironie tragique mais
pleine de bienveillance. Mais citons l'épisode,
selon le témoignage de l'évangéliste
Luc:
"Il
leur dit encore: Quand je vous ai
envoyés sans bourse, sans sac, et sans
souliers, avez-vous manqué de quelque
chose? Ils répondirent: De rien. Et il
leur dit: Maintenant, au contraire, que celui
qui a une bourse la prenne et que celui qui a
un sac le prenne également, que celui
qui n'a point d'épée vende son
vêtement et achète une
épée. Car, je vous le dis, il
faut que cette parole qui est écrite
s'accomplisse en moi: Il a été
mis au nombre des malfaiteurs. Et ce qui me
concerne est sur le point d'arriver .Ils
dirent: Seigneur, voici deux
épées. Et il leur dit:
C'est assez."
(Luc 22. 35
à 38)
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Ch. L'Eplattenier commente ainsi: "
cela
suffit !" autrement
dit: assez discuté sur ce point !
Cette chute du récit devrait
arrêter dans leur élan ceux qui se risquent
à une interprétation allégorique du
genre de celle du pape Boni face VIII, selon laquelle ces
deux glaives représentent le pouvoir temporel et
le pouvoir spirituel !
En effet, le récit montre le
malentendu total entre Jésus et ses disciples, au
moment même où va avoir lieu l'arrestation
du Maître. Celui-ci sait très bien, et en a
souvent témoigné d'avance, qu'il se
refusera a toute résistance par les armes à
ceux qui, en armes, viendront l'arrêter comme un
"terroriste". Mais les conseils énigmatiques qu'il
leur donne ( voir 35-38 ) leur tend un piège, en
quelque sorte. Par l'invitation ( ironique ? ) à
acheter une épée il provoque une
réaction immédiate qui est un aveu:
"Voici deux
épées". Les
disciples ont, sur eux, en tout cas deux
épées qu'ils ont cachées, en se
rendant avec Jésus de la chambre haute au mont des
Oliviers: ils se préparent donc à combattre
! A coup sur, Simon Pierre est l'un de ces "soldats de
l'ombre" qui cachent le poignard justicier sous le pli de
leur vêtement. Jean
l'évangéliste le dit clairement:
" Simon Pierre,
qui portait un glaive, dégaina et frappa le
serviteur du grand prêtre auquel il trancha
l'oreille droite; le nom de ce serviteur était
Malchus. Mais Jésus dit à Pierre: "
remets ton glaive dans son fourreau ! Comment ? Je ne
boirais pas à la coupe que le Père m'a
donnée ?" ( Jean 18.10
à 12 ).
Jésus lui n'a pas
d"épée dissimulée sous sa
robe. Car la "coupe" que le Père lui donne
à boire jusqu'à la lie est à la fois
le sort horrible qu'il doit accepter et la position
radicale d'amour et de non-violence civique qu'il lui
faut tenir, par la foi obéissante, jusqu'au bout.
Non, il n'a jamais été et, cette
nuit-là,il ne sera pas un meurtrier
potentiel. Tandis que les siens, eux, sont des
assassins en puissance. Nobles et
héroïques assassins, certes, mais assassins
quand même, en dépit de toutes les
justifications théologiques des causes " justes".
Pourra-t-il jamais exister une cause plus juste que la
défense armée de ce " roi des juifs"
menacé de mort ..?
Mais Jésus refuse
l'intervention et l'aide militaire de ses adeptes dont
certains sont pourtant d'anciens " zélotes" ayant
l'expérience de la résistance violente
contre l'ennemi et ses collaborateurs:
" C'est assez!
Ça suffit ! Vos
épées me sont odieuses et nuisibles
à ma cause ! Arrêtez!!"
L'Évangile de Matthieu, de
son coté, apporte quelques compléments qui
précisent les motivations de Jésus:
à celui qui a frappé le serviteur du grand
prêtre Jésus dit:"
Remets ton épée à sa place, car tous
ceux qui prennent l'épée périront
par l'épée. Penses-tu que je ne puisse
faire appel à mon Père, qui mettrait
aussitôt à ma disposition plus de douze
légions d'anges? Mais comment s'accompliraient
alors les écritures selon lesquelles il faut qu'il
en soit ainsi?" ( Matthieu 26.
51 à 55)
Le civisme de Jésus concilie
et unit l'amour pour ses amis et l'amour pour ses
ennemis: il guérit l'oreille de Malchus, il
répare le mal produit par la violence de ses
disciples et il arrête net le désastreux
glissement de son Église vers la violence
meurtrière.
Mais cette attitude du Maître
est fondamentalement motivée par sa
fidélité à son Dieu. Sa base
n'a pas de rapport avec nos "valeurs humanistes" de
tolérance ou de justice: elle est la foi
obéissante à la volonté du
Père, la confiance totale envers ce Père et
la volonté de laisser au Père
lui-même le soin de punir les méchants et de
sanctionner leur injustice. Le civisme
préconisé par la " morale laïque" n'a
rien a voir avec cette morale de Jésus (
même, bien sûr, ces deux morales se recoupent
sur de nombreux points).
J'ajouterai deux remarques, ou
plutôt deux questions accessoires:
La première revient sur les
mots" C'est
assez!" et sur leur
signification. la note c de la Traduction
oecuménique de la Bible,T.O.B. dit ceci:
Jésus n'exhorte pas à prendre les armes !
Certains interprètent: deux épées
suffiront à faire apparaître Jésus
comme un criminel." ( cf. aussi la note z de la
même page 271). En effet, selon la loi de
Moïse, deux témoignages
concordants étaient suffisants pour constituer une
preuve devant un juge. Cette interprétation
trouve en moi un écho positif ( quoique
très subjectif ) pour la raison suivante: en 1943,
lorsque, avec les autres maquisards capturés par
l'armée allemande, j'ai comparu devant le tribunal
militaire il a suffi de deux armes ( un
revolver et une carabine ) pour nous inculper
"d'activités de francs-tireurs et d'intelligence
avec une puissance étrangère en guerre
contre l'Allemagne."
La deuxième question est la
suivante: de quels " malfaiteurs" est-il question au
verset 37 de Luc lorsque l'évangéliste
applique à Jésus la prophétie
d'Esaïe 53. 12 sur le serviteur souffrant? Bien
entendu il n'est pas faux de penser aux deux "
terroriste" crucifiés en même temps que
Jésus, probablement deux patriotes
"zélotes" convaincus de " crimes".
Pourtant je me demande si, ici chez
Luc, les " malfaiteurs" en question ne sont pas les
disciples eux-mêmes, démasqués comme
porteurs d'armes par Jésus lui-même, le chef
de cette troupe de rebelles: deux épées
montrées au Maître ont été
suffisantes pour prouver à Jésus que,
décidément et selon la prophétie, il
était entouré de meurtriers et, dés
lors, justement condamnable au regard de la loi romaine (
la loi " de lèse-majesté de
César").
En somme, nous les
"chrétiens" qui utilisons les armes, ne
sommes-nous pas ces " malfaiteurs" ?
Au lecteur d'en juger.