Daumier -
" Ecce homo " l'Agneau pascal
Les faits et gestes de l'homme de
Nazareth viennent d'être
résumés à grands
traits. Les paroles et les actes de
Jésus ont été
évoqués dans leurs grandes
lignes. Suffisamment, j'espère,
pour inciter le lecteur à en savoir
plus. Suffisamment aussi, je pense, pour
que celui qui ne savait rien de Jésus,
reconnaisse maintenant, que ce jeune juif a
été un homme sans pareil, un
homme incomparable.
Comment se fait-il donc qu'en même
temps Jésus ait été, et
de plus en plus, un homme indésirable?
et traité comme tel? un intrus
à exclure ? " persona non grata", dit
le jargon diplomatique.
On aurait attendu le
contraire. Pourtant les textes des
Évangiles sont très clairs
à ce sujet. En voici deux
preuves.
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Indésirable en pays
étranger,
Voilà ce que dit de Jésus
l'évangile de Marc ( 5. 1 à 20 )
Jésus et ses disciples ont
traversé le lac de Tibériade d'ouest en est
et, sur la rive orientale, ils se trouvent en territoire
non-juif, en Décapole. Les gens qui y vivent
élèvent des porcs, animaux impurs pour les
Juifs. Ce pays étranger est donc impur, d'autant
plus que les légions romaines occupent la
région, tout comme elles occupent toute la terre
d'Israël. Cette occupation n'est pas tendre
mais, pour qui sait collaborer, elle a l'avantage de
produire un bel essor économique à
Gérasa: les Romains mangent beaucoup de porcs !
L'ordre social ainsi équilibré exige de ne
pas être troublé... Or Jésus qui
débarque est un perturbateur.
"
Aussitôt que Jésus eut
débarqué, vint à sa
rencontre, venant des tombeaux, un homme
possédé d'un démon
impur. Il avait sa demeure dans les
tombes et personne ne pouvait plus le lier,
même avec une chaîne. Souvent on
l'avait lié avec des entraves et avec
des chaînes mais il avait rompu les
chaînes et brisé les entraves,
et personne ne parvenait à le dompter.
Sans cesse, jour et nuit, il était
dans les tombes et dans les montagnes,
poussant des cris et se tailladant avec des
pierres...."
( Marc 5. 1 à
20 )
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Un être humain
déshumanisé, aliéné, soumis
à l'intérieur de lui-même à
des " forces d'occupation" bien plus redoutables que les
légionnaires de Rome. On imagine
aisément , la terreur qui régnait dans la
région !
Mais plutôt que de penser à ce
qu'il aurait fallu faire pour se débarrasser de ce
fou, définitivement, pensons surtout à la
souffrance inouïe de cet homme. La psychanalyse
moderne nous aide à comprendre un peu cette
souffrance: " Il est dévasté par son
angoisse, il n'est chez lui que là où il
n'y a plus d'habitation... Il n'a pour patrie que
l'exil, pour vie que la non-vie, pour contact que la
fuite loin des autres... Son angoisse ne lui laisse
plus voir en son prochain qu'un tyran potentiel, toujours
prêt à le ligoter... Fuyant la moindre
approche, il hurle, retournant contre lui-même une
violence vaine. ( voir Eugène
Drewermann " La parole et l'angoisse: commentaire de
l'Évangile de Marc " page 106 à 110
)
Or Jésus, lui, ne fuit pas ce
malheureux: il va le délier, le sauver.
" Voyant
Jésus de loin, il accourut, se
prosterna devant lui et cria d'une voix
forte: " Que me veux-tu, Jésus, Fils
du Dieu Très Haut? Je t'adjure, par
Dieu, ne me tourmente pas ! " Jésus
disait en effet: " Sors de cet homme, esprit
impur ! "
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Le contact était établi. Mais
il ne suffisait pas que Jésus parle à un "
démon " . Il fallait qu'il parle à
l'homme, cet être humain qui n'est pas devenu un "
objet " du fait de sa folie, mais qui reste un " sujet "
qui va pouvoir parler, se sentant aimé.
" Jésus
l'interrogeait: " Quel est ton nom
?" ce qui
revient à dire: " Qui es-tu ?"
" Il
répondit: " Légion est
mon nom car nous sommes
beaucoup."
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Cette réponse n'est pas sans
importance et il faudrait être aveugle pour ne pas
voir le rapport entre les légions romaines qui
occupent le territoire géographique et les
légions de diables qui occupent le territoire
psychique de cet homme qui vit un enfer. A l'origine
de sa folie y a-t-il eu le spectacle de milliers de
bottes militaires martelant les chemins après un "
Ouradour-sur-Glane" ? ou l'horreur de centaines d'hommes
crucifiés au bord de ces chemins, peut-être
le père et les frères de cet homme
? Ne serais-je pas alors devenu fou, comme lui ?
" or il y
avait là, sur la montagne, un grand
troupeau de porcs en train de
paître. Les esprits impurs
supplièrent Jésus en disant: "
Envoie-nous vers les porcs, que nous y
entions." Et il leur permit. Sortant
alors, les esprits impurs entrèrent
dans les porcs et le troupeau se
précipita du haut de l'escarpement
dans la mer, au nombre d'environ deux mille,
et ils se noyaient dans la mer. Leurs
gardien prirent la fuite et
rapportèrent la nouvelle à la
ville; et les gens vinrent pour voir ce qui
s'était passé. Ils
arrivent auprès de Jésus et ils
voient le démoniaque assis, vêtu
et dans son bon sens , lui qui avait eu la
légion, et ils furent pris de
peur... Alors ils se mirent
à prier Jésus de
s'éloigner de leur
territoire."
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C'est sur cette surprenante prière
que j'arrête la citation. Cela pour mettre en
évidence la réaction des gens en face de
l'action libératrice de Jésus:
l'humanisation et la délivrance de l'ancien
possédé leur coûte trop
cher. Ces propriétaires de cochons , ces
marchands de " cochonnailles " , préfèrent
laisser dans son trou, au cimetière, l'un des
leurs qui hurle nuit et jour, et garder ainsi leur "
ordre " social : vraiment, l'homme incomparable est
indésirable !
Suite l'homme
indésirable chez les siens