Chrétienté
pas morte !
Ah non! Elle est toujours vivante,
et vivace, la
"chrétienté". Hélas ! Au
siècle dernier, un penseur chrétien croyait
pouvoir intituler un de ses écrits " Feu la
chrétienté". Mais non, elle n'est pas
morte: j'aurais plutôt envie, à la fin de ce
texte, de crier: " Feu sur la chrétienté!
feu à volonté !" Tant est catastrophique
pour le monde le rôle de ces chrétiens de
chrétienté.
Bien sûr, redisons le, ne
confondons surtout pas avec le " corps du
Christ" ( avec cette " Ecclesia"
dont parle Matthieu 16. 18 ) cette réalité
ecclésiastique, théologique, politique qui
est un " système" pervers
empoisonnant la morale civique des enfants de
Dieu. Faire la différence est d'autant plus
important que, précisément, "
l'hérésie constantinienne" se
caractérise par la confusion et l'amalgame entre
la politique du Seigneur d'Israël et la politique de
tous les " Césars" des nations, entre le Christ et
l'Anti-Christ, entre le Dieu de Jésus et les dieux
sauveurs des cités de ce monde, entre
l'Évangile et les idéologie diverses des
peuples de la terre.
( Hérésie
constantinienne: à partir de l'Empereur
Constantin, 4° siècle, la
chrétienté vit selon cette théologie
erronée qui justifie par la Bible la
disponibilité morale du chrétien pour tuer
un ennemi éventuel.)
Or les porteurs de cette
déviation spirituelle ce sont les mêmes que
les fidèles qui aiment Jésus, lui
appartiennent et le servent! C'était moi lorsqu'en
1940- 1945, au temps de la résistance active au
fascisme et au nazisme, je prenais les armes pour tuer
des Allemands, persuadé, en tant que croyant,
jeune étudiant en théologie et futur
pasteur, que le service de Dieu impliquait ce civisme
là...
Aussi, en ces semaines de guerre en
Irak et en Palestine, me garderai-je de " juger" ( je
veux dire de condamner" ) mes frères
chrétiens qui pratiquent l'éthique
politique que leurs pères chrétiens leur
ont inculquée: agir en politique en contradiction
violente avec la politique de leur Seigneur. Mais,
en même temps, je proteste au nom de
l'Évangile contre la théologie
traditionnelle des Églises et contre les guides
spirituels qui la véhiculent. Cette double
attitude ( ne pas condamner et protester) m'est
terriblement difficile, et même
douloureuse.
La télévision me fait
voir ( comme si j'y étais !) deux chefs
d'État chrétiens: l'irakien Tarek Aziz,
second du " maître de Bagdad", et W. Busch,
président des U.S.A. d'Amérique. Je vois
ces deux chrétiens en train de prier, sous le
regard du monde entier. L'un l'irakien est catholique (
l'Eglise chaldéenne ); agenouillé sur un
prie-Dieu, à Rome, avec un prêtre à
ses cotés, il prie
Jésus. C'était à l'occasion de
sa visite au chef de l'État du Vatican, peu de
temps avant le déclenchement de la
guerre. L'autre, l'américain, est protestant
( évangélique ), pratiquant, convaincu,
zélé pour la Bible: on le voit souvent les
yeux fermés, la tête inclinée,
entouré de prédicateurs fougueux, priant
Dieu de bénir l'Amérique, ses soldats et sa
croisade; lui aussi prie Jésus, comme Tarek
Aziz. N'ont-ils pas la même foi en
Jésus ?
Puisque chacun s'affirme
chrétien, pourquoi ces deux chrétiens ne
prient-ils pas ensemble, la main dans
la main, au lieu de chercher à se tuer
mutuellement et au lieu de faire assassiner leurs deux
peuples ? " Ah", répliquera chacun d'eux, "
l'autre est mon ennemi mortel ! " Je répondrai: "
Et alors ? Votre Seigneur, Jésus, ne vous a t-il
pas prescrit d'aimer vos ennemis mortels ? " Peut
être alors quelque aumônier militaire
viendra-t-il à leur secours pour m'expliquer que
le chrétien autorisé à tuer un
ennemi public doit essayer de le tuer... avec
amour.
Je confesse que j'ai
répudié avec dégoût cette
théologie là, depuis Hiroshima et Nagazaki,
depuis que l'aumônier militaire, dans l'avion qui
allait larguer la bombe, a prié " pour que cette
bombe serve à la paix." Honte aux clercs,
théologiens et prédicateurs qui depuis
Constantin ( et même avant ) ont lié
l'Eglise pagano-chrétienne à cette
idéologie "" païenne" selon laquelle l'Eglise
est là pour soutenir l'État et appuyer
toutes les " raisons d'État", de même que
l'État ( si possible chrétien ! ) est
là pour soutenir et aider l'Eglise ( à
prier pour que ce monde ne passe pas trop vite ni trop
mal )! Ne perdons pas de vue une cause spirituelle
profonde de cette apostasie: l'abandon assez rapide de
l'Espérance vivante du proche " Retour" du Christ
et du proche avènement du Règne de Dieu,
espérance posée par Jésus comme base
de la morale chrétienne et vécue ainsi par
les premières assemblées
chrétiennes. L'Eglise du début priait: "
Que Ton Règne vienne et que ce monde
passe! "; or l'Eglise ultérieure
s'est mise à prier: " Que ton règne vienne
et que ce monde dure ! Nous allons
coopérer avec les Pouvoirs mis en place pour
gérer, conserver et sanctifier ce monde...." En
somme, ce fut là l'abandon de l'amour qu'au
début on portait à Jésus et à
son Avènement. Il nous faut donc confesser les
péchés de nos pères ( Daniel
9. 1 à 19 ), discerner en nous la persistance
des mêmes péchés et, en ce qui nous
concerne personnellement, rejeter énergiquement
ces péchés.
Malheureusement, dans tout ce que
disent et écrivent les chrétiens à
travers les média ou les articles savants,
où et quand les voit-on prendre
sérieusement en compte l'Évangile du
" Jour de Dieu et du Christ" avec toutes
les conséquences éthiques d'amour et de non
violence active que cet évangile entraîne ?
Les uns préfèrent perpétuer la "
théologie des deux règnes" qui
relègue au ciel la cité de
Dieu. D'autres tentent
désespérément de moderniser les
vieilles distinctions entre guerres " justes" , guerres "
moins justes", guerres " inévitables", et c....
D'autres encore, flirtant avec les existentialisme
modernes ou les sciences humaines, veulent laisser "
autonome" l'éthique des chrétiens dans le
domaine politique, souvent sans même
préciser ce qu'ils appellent les " valeurs" de
l'Évangile ou les " références"
à l'Évangile. Certains, enfin, veillent
à ce que l'Eglise " sainte" ne s'avoue jamais
coupable, en rejetant toujours la faute sur " quelques
fils de l'Eglise, notre mère à tous."
J"allais oublier la mobilisation actuelle d'une "nation
chrétienne " pour un grand jour de jeûne et
de prière destiné à demander au
Tout- Puissant de prêter main forte aux
G.I. qui donnent en Irak quelques signes de
faiblesse !
Il faut pleurer sur tout cela, et
non en rire. Car Jésus pleure sur cette
chrétienté, tout comme il pleure sur
Jérusalem sioniste de l'État
d'Israël. Il sait en effet, lui, que le cri du
sang versé est entendu par le Père. Et
il sait,lui, que le civisme demandé par le
Père à chaque fils du Royaume comporte non
seulement le refus de porter les armes, non seulement le
refus de s'en servir mais aussi le refus d'exercer le
Pouvoir politique pour coopérer à la Raison
d'État meurtrière et mensongère, ou
pour donner consentement à toute " dissuasion" ou
" force de frappe " quelconque.
Voilà pourquoi
aussi mon Maître me demande de ne pas
juger ( au sens d'apprécier et de discerner ) la
foi personnelle de mes deux frères
chrétiens Tarek Aziz et Geoges W. Busch; et
pas davantage la foi personnelle des conseillers
spirituels du ministre irakien ou des conseillers
spirituels du président des U.S.A. ( Billy Graham,
Pat Roberston et c....) C'est Dieu seul ( le vrai! ) qui
juge de cela. Aussi, en ce qui me concerne,
grâce à un " jugement de charité " je
dois avec amour voir en chacun d'eux un
frère en Christ, un disciple de
Jésus, un adorateur du Dieu d'Abraham, d'Isaac et
d'Israël. Que cela me plaise ou ne me plaise
pas ( et cela ne me plaît pas !! ) Lorsque je
pense, notamment, à Billy Graham qui " intronise"
et " consacre" les présidents des États
Unis pour qu'ils fassent de cette nation une nation "
under God" ( = sous Dieu, sous l'autorité de Dieu,
sous la bénédiction de Dieu ), j'avoue que
j'ai honte. mais le Seigneur me reprend: non
seulement il m'interdit de juger la foi de ce
frère ou d'évaluer la qualité de sa
relation personnelle à Dieu mais encore il me
rappelle quel ardent évangéliste, à
travers le monde, a été cet homme
maintenant âgé et malade; quel fidèle
serviteur de l'évangile il a été, en
bénédiction pour des dizaines de milliers
de gens. Alors bon gré mal gré, il faut que
ma prière aille vers le Seigneur pour mes
frères Tarek, Georges, Billy, Tony, Jacques Et
c.... " le Père seul sait
".
Georges SIGUIER Le Refuge protestant, 20 rue St Jacques, 81200 MAZAMET