Médiation. (
suite )
" Je ne te
condamne pas: va, et désormais ne
pèche plus". ( Jean 8. 1
à 11 )
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Ainsi donc la ligne du comportement
civique du chrétien est tracée: comme son
Maître, qu'il se mette du coté des ennemis
assassinés, du coté des victimes de nos
lois iniques qui sacrifient les pauvres, du coté
des coupables impardonnables, pour leur faire
grâce. Qu'il soit solidaire d'eux; non pas pour
mettre en oeuvre un contre-pouvoir du même genre
que le pouvoir des grands " Pouvoirs politiques",
violents et mensongers, mais pour agir en leur faveur
par la parole publique et le cri de
protestation, par la courageuse
dénonciation de l'injustice et par des
propositions éclairées et
précises de changement à l'adresse des
autorités en fonction ( législatives,
exécutives et judiciaires, voire
économiques ou financières ).
Cependant ce civisme des " enfants du Jour" ne pourra
être crédible aux yeux de ce monde
qu'à la condition suivante: que le
chrétien renonce, en ce qui le concerne,
à être " haut placé" parmi les
détenteurs d'un des trois Pouvoirs
antichristiques, à être un des
décideurs et acteurs de la Puissance politique,
à servir directement et en pleine
responsabilité la cause diabolique qui interdit
d'aimer des " ennemis" et qui, au service des
divinités de la " cité d'en bas" ( la
Nation, l'Argent, la Guerre, la Loi du plus fort ou la
Loi du nombre, le Sexe et c ......) met en oeuvre
les moyens du Diable en vue de fins toujours
dites sacro-saintes.
Et qu'en même temps, dans
l'Eglise, le chrétien se refuse à avoir un
Pouvoir de prééminence, de primauté,
de suprématie, de " leader suprême" (
laissant à d'autres le rôle de Grand Chef ou
.... de " petit Chef", qui est le pire de tous) .
On voit donc pourquoi il y a
incompatibilité entre la pratique de
l'amour pour le prochain ( et l'ennemi! ) et l'exercice
du Pouvoir politique qui exclut et même
empêche la pratique de l'amour. La domination sur
autrui et la violence inhérente à cette
domination sont nécessairement en conflit avec
l'amour prescrit par le Seigneur ressuscité qui
règne déjà et qui vient rapidement
instaurer son Royaume.
Il en résulte qu'en prolongeant un peu, au plan
du civisme chrétien, la phrase du philosophe Alain
cité plus haut , on peut dire: un peu de Pouvoir
rend un peu difficile d'aimer l'adversaire; beaucoup de
Pouvoir rend cela très difficile; le Pouvoir
suprême rend cela absolument impossible.
Le mieux sera donc, pour pouvoir aimer de l'amour du
Christ, que le chrétien ait le moins de pouvoir
possible sur ses semblables et recherche toujours, en
toute chose, un rôle de
subordonné et "
d'inférieur". Et cela par exemple dans le
choix d'une profession, d'une "carrière " à
prévoir, des tentations de réussite
financière ou de l'usage à faire de son
autorité morale et de ses compétences
intellectuelles ou techniques. Un tel changement de
mentalité sera pour Jésus plus
précieux que dix mille paroles de
témoignage verbal. Ce sera un
écho de la croix du Seigneur.
Mais que quiconque " n'appartient " plus
à ce monde sans avenir ne se laisse pas intimider
par les reproches de ceux qui " appartiennent" toujours
à ce monde: " Vous fuyez vos
responsabilités! Vous sortez du monde ! Vous
abdiquez devant le Mal et laissez le champ libre aux gens
mauvais ! Vous voulez vous " laver les mains", comme
Pilate! Vous obligez les autres à prendre votre
place laissée vide quand vous " désertez"
au moment même où on est bien obligé
de se salir les mains et de faire une sale guerre...." et
c .....
A ces objections répondez par un redoublement
d'amour et de service dans la cité humaine
provisoire où vous êtes toujours
" étrangers et en
transit".( 1 Pierre 2. 11- Hébreux 11.8
à 10 ) Mais surtout témoignez de l'attitude
politique de Jésus: il n'est pas allé
prendre la place du roi Hérode afin de faire mieux
que lui, ni du chef romain Ponce Pilate pour le
remplacer, ni du Grand Prêtre du Temple pour le
détrôner !
Il a fuit le
Pouvoir.... mais nul homme n'a
jamais été plus présent au monde que
lui, tandis qu'il agonisait sur le poteau
d'exécution.
J'aurai voulu réfléchir encore, avec le
lecteur, sur bien d'autres questions qui font partie de
ce grand sujet: le monde et la politique. Notamment sur
la génèse, aux origines de
l'humanité, de cette violence collective qui est
à la base de toute politique humaine; et sur le
fait que cette politique de ce monde ne peut pas ne
pas être ce qu'elle est, constamment,
quoique sous les formes les plus diverses. Mais les
philosophes, les sociologues, les psychanalistes ou les
théologiens sont là pour nous aider
à penser et à comprendre.
Je me bornerai, pour clore cette partie de
texte, à deux récits
bibliques importants à mettre en
évidence, deux récits bien connus qu'on
trouve dans le livre de la Génèse: Le
meurtre commis par Caïn contre son frère Abel
et l'édification avortée de la tour qui
veut toucher le ciel, la tour de Babel. Je ne commenterai
pas ces deux textes bibliques. Je les indique
simplement ci-dessous, tout en témoignant qu'ils
ne présentent nullement deux " faits divers"
concernant quelques individus perdus dans les brumes
d'une bien lointaine " préhistoire" mais qu'ils
dévoilent le sens et la base permanente de
toute la politique de ce monde: une vision exacte
de la réalité; exacte parce que dite du
point de vue de Dieu; exacte parce que
révélant la sainte et bonne politique de
Dieu pour notre monde.
Cette politique divine en faveur du monde, vous
allez le remarquer, a une double face:
D'une part la sainte "colère" du
jugement de Dieu qui sanctionne le
péché et fait obstacle au mal par le
châtiment;
D'autre part la protection du coupable,
à laquelle veille l'amour même de Dieu; et
la sauvegarde de la société humaine que
Dieu assure lui-même, tout en la laissant libre de
déployer ses ressources et ses grandeurs.... et
ses horreurs.
Non pas pour opposer indéfiniment les cieux (
en haut ) et la terre ( en bas ) mais au contraire pour
contrôler l'Histoire et la faire avancer à
la rencontre d'un Avenir promis: le Royaume de Dieu sur
une terre transformée par la Miséricorde,
victorieuse du Jugement et plus forte que la "
colère".
Ainsi la Nuit, dans laquelle se débat
notre monde, va prendre fin. Le Jour, le Grand Jour
va arriver . Ce sera " le Jour du Seigneur" ,
l'oeuvre du Père et celle de son bras-droit:
le Messie mis à mort mais ressuscité, et
élevé à la souveraineté
politique universelle et éternelle.
Georges SIGUIER 1920--2016
(Pasteur, Église réformée de France)