Un idéalisme trompeur et
meurtrier.
Vous savez qu'il faut opposer le réalisme
à l'idéalisme: la cigale de la fable est
victime d'un désastreux idéalisme tandis
que le réalisme de la fourmi est
récompensé !
Le réalisme, c'est de voir la
réalité telle qu'elle est et de
prévoir l'avenir tel qu'il sera, sans illusion ni
faux-fuyants.
Le 8 mai 1945, j'avais déjà
sérieusement appris le réalisme, mais pas
assez !
J'avais vu la réalité des prisons de la Gestapo, la réalité de la condamnation
à mort et l'attente du peloton
d'exécution.
J'avais vu l'épouvantable voyage, à 120
hommes par wagon, de Compiègne à Mauthausen
et la réalité quotidienne des travaux
forcés et de la mort lente dans les camps de
concentration.
J'avais vu les démons de l'enfer
incarnés dans des êtres humains et la
réalité de cet atroce assassinat collectif
qu'est la guerre entre les peuples.
En peu de temps et en pleine jeunesse j'avais
vécu "ça": la réalité de la
folle violence, meurtrière et
répétitive, des humains.
Mais il me fallait aller plus loin, beaucoup plus
loin, pour perdre toute illusion et saisir la
vérité dans sa profondeur.
Cela avait commencé lorsque, au Fort Montluc de
Lyon, dans la cellule des condamnés à mort,
me revenait avec insistance et dans une évidence
aveuglante la parole du Maître:
" Tous ceux qui
prennet l'épée périront par
l'épée; Remets ton
épée à sa place
!"
(Matthieu26. 52)
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En somme, me disait Jésus: " toi aussi tu es
coupable et responsable de meurtre et de guerre, puisque
tu avais pris les armes ( ne serait-ce qu'un
révolver démodé et une carabine un
peu rouillée!). Ce tribunal militaire
allemand qui, pour cela, t'a condamné à
mort, est dans une " logique de guerre"
exactement semblable à cette logique de guerre qui
t'a poussé à organiser un maquis
armé ! Mais, à mes yeux, les armes ne sont
pas à leur place quand elles sont dans tes
mains. N'es-tu pas mon disciple et ne voulais-tu pas
devenir serviteur de mon Evangile de paix ? Remet
ton épée au fourreau !"
.... Mais moi, en ce 8 mai 1945, je
n'avais pas encore cessé d'objecter au
Seigneur:
" Mais Seigneur, depuis ma naissance, tous ceux que
j'aime et qui m'ont appris la différence entre le
bien et le mal, tous m'ont dit qu'il était bien de
mourir pour sa patrie les armes à la main, et que
les justes causes demandaient au chrétien de se
sacrifier pour les servir, par la force des armes s'il le
fallait !
Tous m'ont enseigné cette morale-là: mes
parents qui sortaient à peine de leur " grande
guerre",mes maîtres de l'école, du
lycée et de l'université, mais aussi mes
pasteurs et l'Eglise, ton Eglise, Seigneur ! Tous m'ont
dit que l'épée serait à sa place
dans mes mains vigoureuses et nobles, pour servir
Dieu. Alors ? !! Alors
?"
... Alors c'est moi qui peu à
peu, ai eu l'obligation de changer. Ce n'est pas le
Maître qui a changé son " discours sur la
montagne" et sa morale de l'amour des ennemis. C'est
moi qui ai changé de morale, de discours, de
conviction et de prédication. Il m'a fallu
abandonner la " morale du devoir" et la
"théologie" héritée de mes
pères et de mes maîtres. J'ai dû
mieux écouter l'Evangile et laisser tomber les
contrefaçons idéalistes et
humanistes. Sans pour autant condamner qui que ce
soit ! 50 ans après, en ce moi de mai
1995,
Je persiste et signe cet Evangile:
" Vous avez
entendu qu'il a été dit: " oeil
pour oeil et dent pour dent"
Mais moi
je vous dis de ne pas vous venger de celui qui
vous fait du mal....
Vous avez entendu qu'il
a été dit: " tu dois aimer ton
prochain et haïr ton ennemi".
Mais moi je vous
dis: aimez vos ennemis et priez
pour ceux qui vous
persécutent.
Vous serez
ainsi les enfants de votre
Père des cieux...."
(Matthieu 5. 38 à 48)
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Georges SIGUIER 1920--2016
(Pasteur, Église réformée de France)